Liza Gyrdymova était une adolescente ordinaire. Mais un beau jour, après l’école, elle a composé une ballade sarcastique à propos du communisme et l’a publiée sur VKontakte (équivalent russe de Facebook). La chanson est rapidement devenue virale et, pour faire court, seulement deux ans après, sept des dix morceaux présents sur son nouvel album Coloriages pour adultes ont fait une entrée fracassante dans le top 100 des hits russes.
Ce n’est cependant pas une artiste comme les autres, issue du même moule. Son étonnant mélange de voix enfantine et de paroles satiriques lui ont permis non seulement d’être populaire auprès des jeunes, mais de compter également de nombreux fans parmi les adultes et critiques musicaux. Mais au final, quoi de plus étonnant, sa musique étant, il faut l’avouer, de très bonne qualité. Comment l’histoire a-t-elle commencé ?
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« Maman, je ne fais pas de salut nazi. N’appelle pas la police, je ne suis pas l’opposition », chantait Monetotchka à ses 16 ans, dans une ballade au début de sa percée hors du commun vers les sommets.
Ce genre de chansons a fait de Liza le troll favori de Russie, les internautes du pays appréciant de voir des icônes et des tendances de la culture pop être abattues par une fille à la voix douce et candide et au sens de l’humour aiguisé. Sa première victime a ainsi été le créateur de mode Gosha Rubchinskiy, souvent moqué pour sa commercialisation, dénuée d’ironie, de la culture soviétique.
Autre exemple d’élément rajoutant à son œuvre une dose de surréalisme : son remarquable single Cloud rap psychédélique, ne comprenait strictement aucune forme de rap.
Mais au-delà de ses parodies en ligne, un autre aspect a contribué à la montée en puissance de Monetotchka. Contrairement à ses pairs influents, Liza a en effet refusé de forcer sur la superficialité (elle ne portait par exemple pas de maquillage dans ses vidéos tournées dans sa chambre). Peut-être n’était-ce pas intentionnel, mais cela l’a aidée à toucher la majorité silencieuse de la jeunesse de Russie, qui est souvent prise de haut : celle qui est éduquée mais apolitique, créative mais hostile aux conventions, et extrêmement cynique au sujet de l’attitude de sa génération.
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La percée de Liza est survenue lorsqu’elle a commencé à collaborer avec le producteur Vitia Isaïev, et que les premières saveurs de leur partenariat nous ont été offertes en 2017 sous la forme de La dernière discothèque, un morceau sentimental de jeune adulte chanté par-dessus une instru’ minimaliste et des touches sonores nostalgiques des années 1980.
Alors que cette chanson était indéniablement sérieuse, Coloriages pour adultes nous a rassurés sur le fait que Liza ne s’était que temporairement éloignée de sa réputation basée sur l’humour. Cela ne signifiait pour autant pas que cet album nous réservait 33 minutes de dérision au sujet de Gosha Rubchinskiy, mais cet opus tient à l’écart toute lourdeur.
Comme tout autre artiste socialement « conscient », tels que Kendrick Lamar, Liza rejette régulièrement la tentation de prétendre représenter à elle seule ce que cela signifie d’être jeune dans la Russie contemporaine, et utilise pour cela une série de personnages décalés et aux humeurs diverses.
Dans le morceau principal de son album À chaque fois, on peut entendre le refrain suivant :
Si on me payait à chaque fois, chaque fois que je pense à toi
Je serais une SDF au bord de la route, je serais la plus pauvre du monde
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La protagoniste, supposément une « fille idéale, indépendante, qui est fière et autonome », ne correspond clairement pas à l’idée même du morceau (pourquoi sinon serait-elle si obsédée par son ex ?). En un sens, cela reflète parfaitement la génération Internet : élevée et endurcie par l’humour noir, mais souvent fragile lorsque l’on creuse un peu sous la surface.
Alors que le portrait de Monetotchka est souvent dressé de manière humoristique, son invitation à l’introspection nationale s’étend bien au-delà de la culture pop. Son album renferme en effet un message plus profond, selon lequel la Russie ne devrait pas laisser son passé entraver son avenir.
Et cela est visible dès le titre d’ouverture, Arche russe, une chanson sarcastiquement nationaliste dans laquelle on retrouve des clins d’œil taquins aux plus grands trésors de la Russie : le kvas, les iconostases, ou encore le chanteur Stas Mikhaïlov.
Vient ensuite le morceau intitulé 90, qui traite avec dérision d’histoires maintes fois rabattues à propos de la Russie des années 1990.
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Dans les années 1990 on tuait des gens
Et tous courraient absolument nus
Il n’y avait d’électricité nulle-part
Seulement des bagarres pour des jeans et du Coca-Cola
Les plus cyniques diront qu’il s’agit d’une vision sceptique du passé national, mais 90 et Arche russe font partie des morceaux les plus joyeux de l’album. Ici, la nostalgie de la douce musique dico-pop n’a d’égal que la critique formulée dans les paroles.
C’est dans le déchirant morceau Ton nom que la jeune fille fait sa première tentative sans équivoque de sincérité, abordant le sujet du deuil sur un air mélancoliquement disco (et avec succès, ce qui est un exploit au vu de la distance séparant ces deux aspects.) :
Et tu as disparu, on ne peut te retrouver ni dans le vide, ni dans l’obscurité
Tu as fusionné avec l’air, tu t’es transformé en fumée
Sont restées des lettres dans les documents, sur les factures
Et ces lettres étaient ton nom
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La grandeur de l’attrait pour Monetotchka est difficile à expliquer, mais cela réside probablement en bonne partie dans son âge. En effet, à tout juste 20 ans, elle est en pleine transition vers l’âge adulte, et est donc à une période sentimentale particulière, qui évoque la nostalgie adolescente tout en étant acceptable pour toute personne plus âgée.
Elle est également profondément russe : à la fois sérieuse et satirique, mature et enfantine, bornée et vulnérable, jamais la pop n’était autant parvenue à capturer l’angoisse et la complexité de l’identité nationale.
Monetotchka ne présente par ailleurs aucun signe de désir d’oublier d’où elle vient : Coloriages pour adultes se termine sur la ballade humoristique Post-Post, se penchant pour l’engouement en ligne des adolescents pour la pseudo-philosophie. Vous pouvez ainsi presque imaginer Liza enregistrer cette chanson depuis sa chambre. Ce morceau prouve d’ailleurs que ses récents projets n’ont pas éclipsé son sens de l’humour, puisque les paroles s’achèvent sur : « Je n’ai pas encore réfléchi à la fin ».
Quoi qu’il en soit, dites ce que vous voulez, mais sa musique est idéale pour vous insuffler de l’énergie pour toute la journée !
Pour écouter son album Coloriages pour adultes en entier, suivez ce lien !
Dans cet autre article, retrouvez Monetotchka dans notre classement des dix meilleurs hits russophones de l’année 2018 !
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