Clément Cogitore, jeune artiste et réalisateur ayant reçu le prix Marcel-Duchamp l’an dernier, compte d’ores et déjà à son actif deux films documentaires tournés en Russie. Le premier d’entre eux, Belioutine (2011) est dédié au peintre Eli Belioutine, tandis que le second, intitulé Braguino (2017), tirant son nom d’un village de la région de Tomsk (2 878 kilomètres à l’est de Moscou), narre la vie d’une famille de Vieux-Croyants dans la taïga. Il a ainsi eu l’opportunité de se familiariser tant avec l’élite culturelle du pays qu’avec les habitants de sa province.
Vous avez tourné deux films en Russie, mais par quoi ce pays a attiré votre attention et qu’est-ce qui vous y lie ?
Moi, j’ai été très marqué par le cinéma russe, j’ai découvert le cinéma avec Andreï Tarkovski. Au début, j’ai voulu être peintre, et en voyant le film de Tarkovski, je me suis dit que je vais abandonner la peinture. Je me suis alors mis à travailler le film... J’étais aussi beaucoup marqué par la littérature russe. Donc j’ai eu le désir de faire le projet en Russie et c’est plus ces histoires en particulier qui m’ont attiré.
Outre Tarkovski, quels réalisateurs russes vous inspirent ?
Moi j’aime beaucoup le travail de Kirill Serebrennikov, Dmitri Tchelnakov – metteur-en-scène mais aussi auteur des films – j’aime le théâtre d’Ivan Verepaïev.
Parlez-nous du tournage du film traitant du thème des Vieux-Croyants. Comment cela s’est-il passé ?
Le film n’est pas vraiment sur les Vieux-Croyants, il est sur une famille qui est originaire d’une communauté de Vieux-Croyants, mais la vie à Braguino ce n’est pas vraiment la vie des Vieux-Croyants. Il y a très peu de règles religieuses, c’est très libre par rapport aux villages où on refuse vraiment toute la civilisation, toutes formes de technologies…
Ce qui moi m’intéressait, c’était comment est-ce qu’on construit un monde loin de la civilisation dans la forêt… Et ce qui encore m’intéressait était de filmer les enfants à l’intérieur de tout ça.
Donc je pense que dans cette situation il y a des choses qui sont extrêmement russes et d’autres qui sont totalement universelles. Cet amour absolu pour la taïga, il est très russe, ensuite je pense que la volonté de vivre en équilibre avec son environnement ça appartient autant aux peuples indiens, africains, nord-américains.
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Qu’est-ce qui vous a marqué le plus en compagnie des habitants de ce village sibérien ?
J’étais parti pour filmer une utopie et j’ai pensé à faire un film plein d’espoir, un film assez lumineux, mais le film est plutôt tragique, c’est un film très tendu sur le conflit, sur le monde qui va disparaitre.
Au total combien de temps avez-vous passé à Braguino ?
Sur place, j’ai fait un premier voyage en 2012 qui a duré six jours et je suis revenu quatre ans plus tard et suis resté douze jours. C’est très court. Et en fait je ne pouvais pas rester plus longtemps parce que en fait on basculait leur équilibre de vie, même si on amenait à manger, on les ralentissait. Ils devaient chasser, pêcher pour survivre dans la taïga. Ils m’avaient dit : « On peut t’accueillir et te donner tout ce que tu veux, mais au bout de douze jours il faut partir sinon on doit travailler pour survivre ».
Pouvez-vous nous faire part de quelques anecdotes qui ont eu lieu pendant le tournage ?
Une fois, ils ont tué un ours dans la forêt et l’ont découpé. C’était très tôt le matin, c’était une sorte de choc… Brutal, impressionnant… Le voyage m’avait beaucoup marqué aussi tout le chemin que j’ai fait pour arriver… C’était magnifique… Mais aussi la misère ou la difficulté de toute cette région – plus on avançait, plus on sentait, que les gens souffrent de la pauvreté, de la violence, de l’alcool, on les sentait abandonnés vraiment. Et quand je suis arrivé à Braguino, j’ai vu des gens heureux qui ne manquaient de rien, qui ont réussi à construire quelque chose de vraiment très paisible, que je n’ai pas du tout senti dans la région.
Quel message souhaitez-vous transmettre au travers de votre œuvre ?
Je n’ai pas de message, du tout, je m’intéressais à des personnages et j’aime raconter leur histoire, leurs contradictions, leurs désirs, leurs doutes, leur espérances. C’est comme un peintre qui fait le portrait de quelqu’un.
Propos recueillis par Daria Gridiaïeva
Dans cet autre article, nous vous racontons l’histoire d’une famille de Vieux-Croyants ayant vécu dans la taïga et connu la gloire en URSS.
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