Cinq brillantes anti-utopies en langue russe

Domaine public; Imaginaire Gallimard; Pavillons Robert Laffont; Folio SF
La dystopie est un genre littéraire qui s’inscrit aisément dans la tradition littéraire russe. Les maîtres russes du début du XXe siècle ouvrirent la voie à George Orwell et Aldous Huxley. Quels mondes les auteurs russes d’anti-utopies imaginèrent-ils?

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Les historiens de la littérature sont enclins à penser que de nombreuses dystopies du XXe siècle prennent leur source dans Les Récits du Sous-Sol de Fiodor Dostoïevski (1821-1881), dont le narrateur a des représentations déformées de la société et de la morale.

L’anti-utopie comme genre émergea dans la littérature en langue russe après la Révolution d’octobre. Cet épisode de l’histoire russe et le tournant radical qu’il lui imprima ne pouvait pas ne pas influencer les écrivains. Certains y virent un événement comparable à l’apocalypse. Pour eux, une nouvelle société était appelée à se construire sur les ruines de l’ancien monde.

À l’époque soviétique, les dystopies étaient interdites parce que le pouvoir comprenait bien qu’elles étaient une satire du régime bolchévique. L’intérêt qu’elles suscitaient en était d’autant plus grand et certains avaient la possibilité de les lire en samizdat. Beaucoup furent publiées à l’étranger. Durant la perestroïka et les premières années de la Russie post-soviétique, les lecteurs se détournèrent des anti-utopies. Elles furent noyées dans la quantité d’œuvres littéraires censurées pendant la période soviétique et enfin publiées et dans les témoignages de survivants du goulag, qui étaient bien plus réels que n’importe quelle fiction.

Avec le développement des nouvelles technologies, le genre de la dystopie connaît un regain d’intérêt auprès des lecteurs russes. Il ne se dément pas depuis les années 2000. Nous vous présentons ici cinq anti-utopies qui sont parmi les plus lues de la littérature en langue russe.

Nous Autres de Evgueni Zamiatine (1921)

Cette dystopie est certainement la plus connue parmi celles qui furent écrites dans les années qui suivirent la Révolution d’octobre. Evgueni Zamiatine et sa satire du régime bolchévique influencèrent George Orwell. Après avoir Nous Autres, il rédigea 1984.

Dans son roman, Evgueni Zamiatine décrit un État totalitaire qui rappelle le communisme de guerre. Les gens, jusque dans leur intimité, sont sous le contrôle du pouvoir. Ils n’ont plus de noms mais des numéros. Interdit en URSS jusqu’en 1988, ce livre fut d’abord publié en Occident. Evgueni Zamiatine fut arrêté puis libéré grâce à l’intervention de nombreuses personnalités influentes. Il fut autorisé à quitter l’URSS au début des années 1930. 

La Fosse (Le Chantier) d’Andreï Platonov (1929)

Cette nouvelle est une satire féroce de la planification économique en URSS, du premier plan quinquennal et des premiers grands chantiers de l’époque socialiste. Le personnage principal creuse la fosse où seront construites les fondations d’un foyer pour ouvriers. Mais, la réalisation de ce projet s’arrête là. Les chefs parlent beaucoup et agissent peu. La vie humaine n’a aucune importance, tout est sacrifié sur l’autel d’une prospérité universelle illusoire. Epuisés, les ouvriers du chantier souffrent de ne pas trouver de sens à leur vie. La fosse qu’ils creusent jour après jour est en réalité la fosse commune de la société.

À mesure que le régime bolchévique se consolida, la langue d’Andreï Platonov se compliqua à l’excès. La langue qui, comme chez George Orwell devient novlangue, est l’un des thèmes les plus abordés dans les anti-utopies.

Stalker : Pique-nique au bord du chemin d’Arcadi et Boris Strougatski (1972)

L’action de cette anti-utopie se déroule dans une ville imaginaire. Quelques années avant les événements décrits dans cette nouvelle, une entité ou une civilisation extraterrestre a visité la Terre. Depuis son départ, il reste sur notre planète des « zones », c’est-à-dire des régions où se produisent des phénomènes anormaux et où se trouvent des objets qu’on ne peut identifier. Il est interdit de se rendre dans ces « zones », mais certains, les « stalkers » y pénètrent à la recherche du bonheur et du sens de la vie.

Cette nouvelle est l’une des œuvres les plus lues des frères Strougatski. En 1979, Andreï Tarkovski l’adapta au cinéma sous le titre de Stalker.

Le Slynx(Kys’de Tatiana Tolstoï (2000)

Le Slynx est à ce jour l’unique roman de Tatiana Tolstoï, une des petites-filles de l’écrivain Alexeï Tolstoï (1883-1945). Elle commença à l’écrire en 1986, après l’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl, et l’acheva en 2000. Elle y décrit la vie après une apocalypse provoquée par une explosion. Ses personnages sont des êtres et des animaux étranges qui ont subi des mutations, ainsi que des humains qui n’ont plus d’apparence humaine. Ils ont même perdu la faculté du langage. Kys’, un être que personne n’a vu, hante les forêts profondes. Il émet des sons étranges qui épouvantent tout ce qui reste de vivant sur la Terre.

Ce roman fut un succès de librairie qui ne laissa aucun de ses lecteurs indifférent. Kys’ fut décortiqué. Certains y décelèrent l’influence de Evgueni Zamiatine et des frères Strougatski.

Journée d’un Opritchnik de Vladimir Sorokine (2006)

Vladimir Sorokine est considéré par certains comme un prophète. L’action de ses romans se passe au « nouveau Moyen-Âge », une époque où la technologie a considérablement progressé mais où le niveau de vie, l’organisation de la société et la morale ont régressé pour redevenir ce qu’ils étaient aux temps obscurs.

Dans la Journée d’un Opritchnik, Vladimir Sorokine décrit, dans le style des bylines (chants épiques), la renaissance de la Russie après le Temps des troubles. Nous sommes alors en 2028. La monarchie a été restaurée et le pays est séparé du reste du monde par un Mur. L’armée personnelle du tsar commet des exactions et réprime la population. Les membres de cette classe privilégiée effraie les « boyards » et les gens simples. Ils se déplacent dans des voitures de luxe et sont impunis.

Les critiques rattachent souvent à la Journée d’un Opritchnik d’autres anti-utopies de Vladimir Sorokine :

  • son recueil de récits Le Kremlin en Sucre qui reprennent de nombreux sujets abordés dans la Journée d’un Opritchnik ;
  • Telluria dans lequel un communisme matiné d’orthodoxie s’est imposé en Russie ;
  • Managara qui décrit un monde dans lequel les livres sur papier ont disparu. Dans un restaurant, on prépare les plats sur un feu alimenté par des exemplaires rares.

Dans cette autre publication, découvrez comment les grands poètes russes ont tenté de communiquer avec Staline.

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