Andreï Kontchalovski
Ekaterina Tchesnokova / RIA NovostiParadis compte deux protagonistes : le premier est un officier SS, Helmut, qui se rend dans un camp de concentration afin d’enquêter sur la corruption ; le second est son amour de jeunesse, la princesse russe Olga, qui s’est retrouvée dans le camp de la mort pour avoir rejoint la Résistance française et caché des enfants juifs chez elle durant l’occupation. Aujourd’hui, tous deux sont confrontés au problème du choix. Lui doit décider s’il est prêt à sacrifier sa carrière et ses convictions pour sauver son ancien amour de la chambre à gaz. Elle doit savoir ce qui compte le plus pour elle : sauver son corps ou son âme.
Paradis sortira en salles ces prochaines semaines en Europe et aux États-Unis. RBTH a eu un entretien avec Andreï Kontchalovski.
Le film est consacré à l’Holocauste considéré, d’une part, comme un sujet intarissable pour le cinéma mondial, mais, d’autre part, comme un peu opportuniste. Ce n’est pas par hasard si les Oscars des deux dernières années ont été décernés à des films d’Europe orientale consacrés à l’Holocauste. Aucun reproche ne vous a été formulé pour l’instant ?
Non, bien que je sois prêt à n’importe quel reproche. Qu’est-ce que c’est un reproche ? L’interprétation de ce qu’un spectateur a vu à l’écran, c’est tout. En visionnant Paradis, certains pourraient croire que c’est un film sur l’Holocauste. Je n’ai rien à objecter. Dans le système de la réalité du spectateur qui le dira, c’est peut-être le cas. J’ai soigneusement évité toute possibilité de vision univoque du film.
Scène du film Paradis d’Andreï Kontchalovski. Crédit : kinopoisk.ru
C’est pour ça qu’on me questionne maintenant sur la scène où Olga se jette au cou de l’officier SS pour lui dire qu’il est le représentant d’une grande nation ayant droit à n’importe quelle atrocité : est-ce un réquisitoire ou de l’ironie ? Je ne réponds jamais directement. Réquisitoire ? Peut-être. Ou peut-être ironie.
Pour ne pas nous empêtrer dès la première question je vais vous dire que pour moi, Paradis n’est pas un film consacré à l’Holocauste. J’y reviens sur le drame du peuple juif, mais ce n’est pas l’idée maîtresse. Il était bien plus important pour moi de faire un film sur le charme du mal. Le héros du film est un officier SS, très cultivé et extrêmement séduisant. Et c’est là toute l’horreur.
Paradis semble d’ores et déjà connaître une heureuse destinée sur la scène internationale avec ses récompenses aux festivals, sa présélection pour les Oscars et une attention garantie du public. Est-il important pour vous que le film soit correctement compris en Occident ?
Tout ce qui est arrivé à Paradis à Venise et aux Oscars est pour moi une bonne surprise. Dieu merci qu’il en ait été ainsi : alors que l’Occident exerce une pression sans précédent sur la Russie, ses spectateurs auront l’occasion de visionner un film qui leur expliquera au moins quelque chose au sujet de la Russie et des Russes. Je pense qu’ils comprendront tout.
Avec Paradis vous revenez après une longue absence dans le cinéma international : le film est en plusieurs langues, les scènes ont été tournées en Allemagne et en France, l’équipe de tournage était européenne. Y a-t-il eu un choc des mentalités sur le plateau ?
Scène du film Paradis d’Andreï Kontchalovski. Crédit : kinopoisk.ru
Le grand problème était la mentalité des membres de mon équipe qui ne comptaient pas les heures. C’était à moi d’y penser. Quand commencer la journée de travail et quand la terminer, peu importe, ils étaient pleins d’entrain. En Allemagne, c’est tout droit ou c’est à gauche et à droite. Jamais rien en diagonale.
Quand on restait deux heures supplémentaires, ça leur semblait bizarre. Quand on tournait six heures au lieu de douze, ça leur semblait bizarre. On avait tout fini et on était partis, mais eux sont restés encore six heures, le temps de la journée du travail, bien qu’il n’y ait plus rien à faire. Nos deux mentalités sont différentes. Nous, nous les comprenons, mais eux ne nous comprennent pas. Pour ce qui est des comédiens, aucun problème : ils étaient passionnés par le sujet dans la mesure nécessaire.
Votre renaissance en tant que réalisateur a-t-elle quelque chose à voir avec l’échec de Casse-Noisette que vous avez donné à Hollywood il y a six ans ?
Scène du film Paradis d’Andreï Kontchalovski. Crédit : kinopoisk.ru
Oui, ça aussi. À l’époque je ne comprenais pas encore qu’un réalisateur russe n’a rien à faire à Hollywood. Il n’y est qu’en qualité d’artisan et s’il vise des ambitions un peu plus hautes que la moyenne, on lui met des bâtons dans les roues. Je n’ai aucune envie de retourner à Hollywood avec sa hiérarchie bien rangée où nous avons notre place à la base de la pyramide. Avez-vous fait attention à la manière dont est filmé Paradis du côté formel ?
Quand la moitié du film vos personnages restent assis à table et parlent face à la caméra ?
Exactement. Écrire un scénario où pendant un certain temps les héros sont en gros plan parlant face à la caméra est dans un certain sens une folie. Si j’avais soumis un tel scénario à un studio d’Hollywood, on m’aurait dit : « Tu es fou ? ». Cela étant, je suis heureux de vivre actuellement en Russie où les folies du genre sont permises. Souvent nous ne voyons malheureusement pas que nous vivons dans un pays libre.
*La liste complète des nominations pour la 89ème cérémonie des Oscars a été dévoilée le 24 janvier. Le Paradis n’a pas été nominé.
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