« Plus grand apôtre de la non-violence que notre époque ait connu », « grand maître que j'ai longtemps considéré comme l'un de mes guides » : voici que quelques exemples de la manière dont Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) qualifiait Léon Tolstoï (1847-1910). Nés dans deux pays différents, ces deux hommes qui entreraient dans l’histoire comme des incarnations de la grandeur de l’esprit humain appartenaient à des générations différentes. Jeune et encore inconnu, Gandhi lisait les œuvres d’un Tolstoï déjà célèbre y puisant de la sagesse.
Celui qui deviendrait plus tard le leader du mouvement de la résistance non-violente en Inde avouait que les ouvrages d’écrivains et philosophes russes l’avaient beaucoup influencé. En évoquant Le Royaume de Dieu est en vous, il avouait avoir été bouleversé : « Devant l’indépendance de pensée, la moralité profonde et la sincérité de ce livre, tous les autres me parurent pâles et insignifiants ».
Mais il a fallu attendre 1909 pour que les premiers échanges entre ces deux grands hommes aient lieu. L’histoire a en effet commencé en décembre 1908, lorsque le révolutionnaire indien antibritannique Tarak Nath Das écrit à Léon Tolstoï, lui demandant de soutenir l’indépendance de l’Inde vis-à-vis du colonisateur britannique. Figure influente à l’époque, l’écrivain russe a alors répondu dans une longue lettre intitulée Lettre à un Hindou que Das a publié dans le journal Free Hindustan. Le message de Tolstoï était suivant : le principe de l’amour est pour le peuple indien le seul moyen de se libérer des Britanniques.
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« Ne résistez pas au mal, mais vous‑mêmes ne participez pas non plus au mal, aux actions violentes de l'administration, des cours de justice, au prélèvement d'impôts et, le plus important, aux actions violentes des soldats, et personne au monde ne vous asservira », a-t-il écrit.
Le texte est passé de main en main avant de se retrouver en 1909 entre celles de Gandhi. Se trouvant à l’aube de sa carrière de militant, ce dernier a alors écrit à Tolstoï pour demander l'autorisation de publier cette lettre dans son journal Indian Opinion, diffusé en Afrique du Sud. Cet échange a évolué en une correspondance qui a duré jusqu’à la mort de Tolstoï en 1910. Pour découvrir ces échanges dans leur intégrité, suivez le lien !
Après avoir cherché pendant des décennies à apporter des réponses aux plus grandes questions philosophiques, Tolstoï a partagé certaines de ses idées avec Gandhi. Le penseur russe, alors très âgé, a analysé dans une lettre à Gandhi les faux principes auxquels l'humanité était habituée. Selon lui, depuis des millénaires, la civilisation humaine a suivi le chemin de la violence, devenue son principe directeur pour assurer sa survie. Pourtant, ce mode de vie est incompatible avec la loi beaucoup plus naturelle de l'amour.
« Plus je vis et plus je veux ‑ la mort approchant ‑ faire connaître à autrui mes sentiments les plus profonds. Il s’agit de ce qui pour moi, prend une importance immense ‑ de ce qu’on appelle la "non‑résistance". En réalité, cette non-résistance n’est rien d’autre que l’enseignement de l’amour, non faussé par des interprétations mensongères. L’amour c’est‑à-dire l’aspiration vers l’harmonie des âmes humaines et l’action qui résulte de cette aspiration ‑ l’amour est la loi supérieure, unique de la vie humaine. Tout homme le sait pour l’avoir senti au plus profond de son âme ‑ nous le percevons si nettement chez les enfants ‑ tout homme le sait jusqu’au jour où le mensonge de tous les enseignements, du monde jette dans la confusion ses idées. [...] L’emploi de la violence et l’amour sont inconciliables », dit-il dans sa lettre rédigée le 7 septembre 1910.
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La philosophie de Tolstoï a tellement inspiré Gandhi qu’avec son ami Hermann Kallenbach, ils ont baptisé en son honneur leur ferme en Afrique du Sud. Les habitants de cette dernière vivaient en autosuffisance, consacrant leurs forces à un travail pénible et dévouant leur esprit à la recherche de la vérité, de l’amour, de la non-possession, de la non-violence et de la chasteté. L’expérience reçue par Gandhi dans cette ferme aurait par la suite une influence décisive sur son mouvement Swadeshi, qui se baserait sur le principe de l’usage des biens produits localement.
L’idée du travail manuel laborieux découle de la conviction de Tolstoï selon laquelle le but même de la vie est d’œuvrer pour autrui : il a lui-même suivi ce principe, en labourant le sol et en fabriquant ses propres chaussures. Tolstoï était également l’un des principaux défenseurs des droits des paysans de son époque et a même ouvert une école pour enfants paysans dans son domaine.
Dans cet autre article, découvrez Tolstoï comme vous ne l’aviez jamais vu au travers d’authentiques photographies.
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