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Même après que Piotr Goubonine, ancien serf devenu magnat des chemins de fer, se soit enrichi, il s'habillait toujours comme un simple marchand moscovite. Le célèbre homme d'affaires Piotr Smirnov n'engageait que des gens qui tenaient leur parole, tandis que Iakov Chtchoukine a changé sans crainte de secteur d'activité jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il voulait – le statut de célèbre entrepreneur. La paysannerie russe a parfois donné naissance à d'incroyables talents commerciaux.
Portrait de Goubonine par Ivan Makarov, en 1860
Musée Erzi des arts visuels de MordovieLe « roi des chemins de fer » russe, Piotr Goubonine (1825-1894) est né dans une famille de serfs de la région de Kolomna. Dès son plus jeune âge, il a surpris tout le monde par ses capacités – il a appris le métier difficile de la production de meules en seulement 5 ans. Le jeune prodige de 17 ans a été envoyé à Moscou pour travailler sous les ordres de Vassili Iakovlev, une personne importante dans le secteur du travail de la pierre dans cette cité. Iakovlev vieillissant, Goubonine a hérité de ses relations et contrats. En 1848, lorsque la construction d'une route de Moscou à la ville de Brest (en actuelle Biélorussie) a commencé, Goubonine a obtenu le droit de construire tous les bâtiments en pierre le long de cette voie.
En 1858, Goubonine s'était déjà libéré, lui et sa famille, de son servage en se rachetant et avait acquis une usine de transformation de la pierre près de Moscou. Les hommes de Goubonine ont été à l’origine de la finition en pierre des remblais le long de la rivière Moskova, ainsi que des ponts et de certains bâtiments de la ville. Néanmoins Goubonine a bâti la majeure partie de sa fortune en se lançant dans le domaine des chemins de fer. Les voies ferrées Moscou-Koursk, Oriol-Vitebsk, Lozovo-Sébastopol, de l’Oural, de Gornozavodsk, de la Baltique et d’autres – toutes ont été construites avec sa participation et ses fonds.
Demeure de Goubonine à Moscou
Google Maps« Personne ne pouvait comprendre pourquoi des gens comme Goubonine, qui n'avaient pas un sou d'argent et aucune connaissance en ingénierie, devenaient millionnaires en deux ou trois ans », a écrit le prince Vladimir Mechtcherski, un publiciste du XIXe siècle. Voici pourquoi : les gens comme Goubonine gagnaient de l'argent dès qu'ils voyaient une opportunité. Par exemple, un jour, près de Tsaritsyne (aujourd'hui Volgograd), Goubonine a aperçu un moulin à sel. Quelques années plus tard, il a organisé une concession de commerce de sel et, avec son capital, a commencé à contrôler une bonne partie de la production de cette denrée en Russie. Plus tard, Goubonine gagnera également de l'argent avec le pétrole, le charbon, les tramways et construira même une station balnéaire populaire de style européen à Gourzouf, en Crimée.
En 1872, Goubonine a reçu la noblesse héréditaire et, en 1875, le rang de conseiller d'État actif. Pour exprimer sa gratitude à l'empereur Alexandre II, Goubonine lui a offert un encrier coûteux portant l'inscription suivante « De l’ancien paysan et maintenant, par Votre grâce, le conseiller d'État actif Piotr Goubonine ». Apparemment, l'empereur a apprécié ce cadeau, puisqu'il gardait toujours cet encrier sur sa table. Goubonine, de son côté, n'aimait guère exhiber son aisance – même après être devenu l'un des plus riches personnages de Russie, il s'habillait encore comme un simple marchand moscovite – avec une longue redingote, des bottes de cavalier et un modeste chapeau.
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Piotr Smirnov n'a rien inventé de précis, et ce n'est pas lui qui a lancé l'entreprise familiale, mais il est celui qui a immortalisé son nom dans l'industrie de la vodka – car il était un promoteur étonnant. Piotr est né en 1831 dans une famille de paysans serfs de la région de Iaroslavl. Son père et ses frères aînés possédaient déjà une entreprise de production d'alcool et, alors que Piotr était encore jeune, ils s'étaient émancipés du servage en se rachetant.
Lorsque Piotr, qui a commencé comme vendeur dans le magasin de son frère, a ouvert sa propre petite usine d'alcool, il s'est appuyé sur des principes impopulaires. En 1863, il a commencé avec seulement 10 à 20 hommes, mais la qualité de sa production apparaissait supérieure. « Fabriquer les meilleurs produits à partir d’un matériau russe de première classe et ne pas épargner d'argent pour les appareils de production les plus avancés », tel était le principe de Smirnov.
Commerce de Smirnov à Moscou
Google MapsSmirnov était également rusé lorsqu'il s'agissait d'engager des travailleurs. Lors du recrutement, la première chose qu'il proposait aux candidats était de goûter sa vodka – sur place. Au début, presque tous refusaient – mais après l'entretien, certains candidats osaient goûter un ou deux verres – mais n'étaient pas embauchés, même s'ils étaient compétents, car Smirnov ne voulait que des gens prêts à tenir fermement leur parole.
Smirnov a basé ses installations de production et de stockage sur la rue Piatnitskaïa, à Moscou, où il vivait lui-même dans une imposante maison au coin de la rue. Smirnov utilisait cette demeure sur les étiquettes de ses vodkas – de sorte que même les buveurs illettrés (et ils étaient nombreux) savaient qu'ils achetaient la vodka de Smirnov grâce à l'image. Smirnov engageait également des « faux acheteurs » – des hommes qui se promenaient dans les débits de boissons de Moscou et demandaient des vodkas Smirnov – les barmans devaient alors commander à Smirnov, car ils pensaient qu'il y avait une forte demande pour sa production.
Étiquette d'une bouteille de vodka Smirnov
«Sibirskaïa gornitsa»En 1886, alors que la vodka Smirnov était incontestablement la plus connue de Russie, avec plus de 250 hommes travaillant dans son usine et son chiffre d'affaires annuel de plusieurs millions de roubles, Alexandre III l’a personnellement goûtée et l'a trouvée exceptionnelle. Smirnov est alors devenu le seul fournisseur de vodka de la cour impériale. Au milieu des années 1890, Smirnov contrôlait plus de 60% du marché des spiritueux dans le pays. Sa vodka a d’ailleurs été servie lors de la cérémonie du couronnement de Nicolas II.
Smirnov est mort en 1898, laissant plus de 15 millions de roubles d'héritage (une somme importante – à l'époque, le salaire d'un ministre était d'environ 1 500 roubles par mois) à ses enfants, qui ont à leur tour repris l’affaire.
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Iakov Chtchoukine dans son jardin de l'Ermitage
Photographie d’archivesLes Russes ont été initiés au cinéma grâce à un autre ancien paysan. Iakov Chtchoukine est né en 1859 dans une famille de paysans pauvres de la région de Iaroslavl – ils étaient si pauvres qu'à l'âge de 14 ans, Iakov a dû quitter son foyer et est allé vivre et étudier au monastère Nikolo-Ougrechski près de Moscou, après quoi il est devenu assistant médical. Cependant, cela ne fascinait pas beaucoup le garçon, qui est par conséquent devenu un simple vendeur dans l'un des jardins publics moscovites.
Alors que ses affaires s'amélioraient, Chtchoukine est devenu propriétaire d'un snack-bar dans l'un des théâtres populaires de la ville appelé « Paradis » (toujours actif aujourd'hui sous le nom de Théâtre Maïakovski). Durant la seconde moitié du XIXe siècle, l'industrie théâtrale était en plein essor en Russie. À l'âge de 30 ans, Iakov était assez riche pour louer tout le théâtre – et il est soudainement passé d’un vendeur de boissons à un entrepreneur à part entière, invitant des musiciens et des chanteurs d'opéra européens à se produire à Moscou. Cependant, sa réalisation la plus connue est le jardin public de l'Ermitage.
Chtchoukine a inauguré l'« Ermitage » en 1894 sur un terrain vague au centre de Moscou, près de la rue Karetny Riad, où des calèches étaient vendues. Le territoire était jonché de voitures hippomobiles abandonnées et de leurs pièces – on dit qu’il aurait fallu 50 000 charrettes à Chtchoukine pour en enlever toutes les ordures. Mais ce qu'il y a fait ensuite était étonnant.
Allée principale du jardin, en 1906
Photographie d’archivesLe jardin de l'Ermitage a été le premier à bien des égards – le premier à disposer d'un système d'irrigation et le premier à avoir sa propre centrale électrique au diesel pour fournir de l'éclairage la nuit. Chtchoukine était si sûr du succès qu'il a dépensé tout son argent pour aménager le jardin et, pour imprimer les premières affiches de théâtre, il a même mis en gage un manteau de fourrure.
Le programme du théâtre, la principale attraction du jardin, était éclectique : opérettes, vaudevilles, œuvres théâtrales, spectacles de clown et même des représentations obscènes : une affiche de 1908 annonçait : « Une farce de la vie intime des figures politiques actuelles du Moyen-Orient et de Paris ». En attendant la représentation, les visiteurs du jardin pouvaient s'amuser sur les manèges du parc, s'asseoir dans un restaurant ou boire du thé au buffet – et en hiver, faire du patin à glace.
Mais qu'en est-il du cinéma ? Le 26 mai 1896, dans le jardin de Chtchoukine, les Moscovites ont pu voir le film L'Arrivée d'un train à La Ciotat d'Auguste et Louis Lumière. La projection a eu lieu seulement 5 mois après la projection du film à Paris – et même quelques mois avant que le film ne soit diffusé aux États-Unis !
L'« Ermitage » de Chtchoukine est devenu sans conteste le meilleur endroit de Moscou pour se retrouver. En 1903, Chtchoukine a même invité le légendaire magicien Harry Houdini à s’y produire. « Enfermé dans une cage, il s'en échappe en public, puis mis dans une camisole de force, placé dans une boîte, cloué, et en quelques instants, l'illusionniste est libre », se vantait fièrement la publicité pour le spectacle de Houdini à Moscou.
Néanmoins, le climat politique en Russie et en Europe s'est détérioré au début du XXe siècle. L'astucieux Chtchoukine a toutefois pressenti la tournure des événements et, en 1917, a vendu son jardin (qui était toujours rentable) et est parti avec sa famille en Crimée puis à Constantinople, où il est mort en 1926, ayant échappé à toutes les horreurs de la Révolution russe. Aujourd'hui encore, le jardin de Chtchoukine est un lieu très prisé des Moscovites et son monogramme figure toujours sur les bâtiments et les lampadaires d'époque du jardin.
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