Comment la police soviétique est devenue populaire après la mort de Staline

Pendant longtemps, les Soviétiques ont cru en l’infaillibilité de leurs forces de l’ordre. La déception amère est advenue juste avant la chute du pays des Soviets.

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Des chevaliers en armure brillante forts, virils, dotés de principes et délicats - c’est l’idée que les Soviétiques se faisaient des représentants des forces de l’ordre. L’État a d’ailleurs déployé d’énormes efforts pour créer une image idéale de la militsia - nom jadis donné à la police dans le pays. Or, la réalité était quelque peu différente.

École de police de Saratov, le 27 octobre 1971

Jusqu’au milieu des années 1950, l’URSS se souciait peu de la popularité des gardiens de l’ordre. Contrairement à la mission des agents secrets et de contre-espionnage, la militsia « sale et brutale » n’était pas entourée d’un halo de romantisme. D’ailleurs, le souvenir des récentes répressions politiques était encore bien ancré dans la mémoire des Soviétiques.

Département de police de Moscou, 1950

Toutefois, avec les prémisses d’une certaine libéralisation de la vie politique et sociale durant le « dégel » de Krouchtchev, les autorités ont aspiré à plus d’ouverture.

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Des tentatives de rendre plus humains les employés de la militsia ont donc été entreprises : des publications dans les journaux et les magazines montraient que les agents des forces de l’ordre étaient des gens ordinaires qui, un peu comme tout le monde, peignent, font de la musique, chantent dans une chorale ou plantaient des fleurs pendant leurs heures de loisir.

«Vos papiers, citoyen?» , 1952

La tâche consistant à soigner l’image de la militsia a été en partie confiée à l’intelligentsia créative. En 1954, le poète et écrivain Sergueï Mikhalkov écrit son poème Oncle Stiopa, le milicien, dans lequel apparaît l'image d'un policier de grande taille, qui vient à l’aide des citoyens en détresse.  

Une scène de l'«Oncle Stiopa, le milicien» représentée sur une carte postale

En 1956, l’écrivain Arkadi Adamov publie sa nouvelle Affaire des Bariolés, ressuscitant le roman policier dans le pays. En rédigeant son œuvre, l’auteur réalise en effet une véritable immersion dans le quotidien de la militsia moscovite - il accompagne ses employés durant les interpellations et les coups de filet. Deux ans plus tard, son livre serait adapté au cinéma et marquerait le début de la vogue des films dédiés aux vaillants défenseurs de l'ordre public.

Scène du film «Viens ici Moukhtar»

Mais c’est à la lisière des années 1960-70, lorsque Nikolaï Chtchelokov a occupé la tête du ministère de l’Intérieur, que la police soviétique a connu son véritable essor. Sous sa direction, les agents ont vu leur salaire augmenter et ont bénéficié de nouvelles facilités. Le nombres d’écoles du ministère de l’Intérieur allait alors croissant, attirant de plus en plus de jeunes. « Il a travaillé d'arrache-pied, surtout durant  les premières années, quand il a étudié en profondeur les racines du crime dans le pays. Grâce à lui, les services de l’Intérieur sont devenus plus respectés », écrivait au sujet de son patron, l'adjoint de Chtchelokov, Iouri Tchourbanov. 

Le ministre de l’Intérieur Nikolaï Chtchelokov salue les participants au festival d’artistes amateurs parmi les employés des forces de l’ordre.

Grâce à ses efforts, de nombreux livres, films et séries télévisées consacrés au quotidien de la militsia soviétique sont sortis. Le 10 novembre, fête professionnelle des gardiens de la paix, était célébré par un concert grandiose qui ne cédait en rien aux célébrations du Nouvel An.

Une course-relais à l'occasion de la Journée de la militsia

Les séries Les Experts conduisent l'enquête et Le lieu de rencontre ne peut pas être changé sont devenus cultes. D’ailleurs, la rédaction des Experts a reçu des milliers de lettres demandant de l’aide pour résoudre des enquêtes en cours. « La confiance envers les personnages était si forte que nombreux étaient ceux qui croyaient que l’art théâtral n’était que notre hobby et qu’en réalité on travaillait au sein des forces de l’ordre », se rappelait l’acteur Leonid Kanevski, qui a interprété l’un des rôles principaux dans la série en question.

Scène du film «Les Experts conduisent l'enquête»

Le 26 décembre 1980 au soir, des agents en service à la station de métro Jdanovskaïa (aujourd'hui Vykhino, dans l’est de Moscou) ont interpellé et passé à tabac un major du KGB, qui était sous l’emprise de l’alcool. Quelques jours plus tard, ce dernier a décédé dans l’une des cliniques de la capitale.

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En apprenant qui était derrière cette mort, le KGB et le Parquet général ont littéralement « ratissé » le ministère de l’Intérieur, mettant au jour une multitude de cas d’abus de pouvoir, dont des vols et des assassinats de passagers de métro éméchés, commis à travers le pays par les miliciens de différents rangs. Même le ministre n’a pas été épargné. Accusé de corruption et privé de son poste, Nikolaï Chtchelokov a mis fin à ses jours en 1984.

«Plus jamais!», 1978 ; Kazan, la République socialiste soviétique autonome tatare.

Suite à l’incident de la station Jdanovskaïa, les citoyens ont longuement perçu avec un mélange de défiance et d'hostilité les policiers en service dans les transports urbains. Et plus le pays se rapprochait de son déclin, plus des épisodes désagréables liés aux activités des forces de l’ordre étaient révélés. Soignée avec tant d’efforts pendant si longtemps, l’image de la militsia était durablement écornée.

Tir d'entraînement

Après l’effondrement de l’URSS, pendant les « sauvages » années 1990,  l’image des miliciens dans la culture de masse a drastiquement changé. Ce n’était plus un chevalier en armure brillante, mais (dans le meilleur des cas) un officier honnête, écrasé par le manque d’argent et remplissant obstinément son devoir au milieu du délabrement et de la corruption généralisés. Pour gagner l’attention du public, il devait désormais rivaliser avec les nouveaux héros des romans et séries, les bandits.  

Équipage de la police routière

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