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« Écrivain connu du monde entier, Russe de naissance, orthodoxe par son baptême et son éducation, le comte Tolstoï, dans l’égarement de son esprit orgueilleux, s’est élevé avec audace contre le Seigneur et son Christ et son héritage sacré », lit-on dans la Résolution du Saint-Synode en date du 22 février 1901 publiée deux jours plus tard dans les Nouvelles ecclésiastiques (ЦерковныеВедомости).
De l’avis du Saint-Synode, Léon Tolstoï« a renié avec audace devant tous sa mère, l’Église orthodoxe, qui l’a nourri de son lait et élevé ; il a consacré son activité littéraire et le talent que Dieu lui adonné à propager dans le peuple des doctrines contraires au Christ et à son Église » . Après avoir сondamné « sa fausse doctrine antichrétienne et antiecclésiastique» , le Saint-Synode regrettait profondément le fait que Léon Tolstoï « s’était détaché » de l’Église orthodoxe russe.
Une conversation sur la religion
I.A. SolomatineAu début des années 1880, Léon Tolstoï, qui était profondément croyant, vécut une crise spirituelle grave. Sa compréhension de nombreux enseignements de l’Église orthodoxe évolua. Parce qu’il en était venu à penser que les intermédiaires avec Dieu – l’Église et ses prêtres – étaient inutiles pour vivre sa foi, il cessa de respecter les rites de l’Église.
Le roman Résurrection et les traités philosophiques Confessions et Qu’est-ce que la Foi ? sont les œuvres de Léon Tolstoï dont le caractère religieux est le plus marqué. Il y exprime des idées audacieuses comme celle de la négation de l’origine divine du Christ et de la réalité des miracles qu’il a accomplis.
Léon Tolstoï expliquait chercher, par son enseignement religieux et ses articles philosophiques, à surmonter la crise de la foi que la société russe traversait à la fin du XIXe siècle. Il considérait qu’il fallait sauver la foi professée par une Église désormais dépassée. C’est pourquoi il appelait les orthodoxes à prier seuls. L’écrivain fut suivi dans son cheminement spirituel par des disciples à qui on donna bientôt le nom de Tolstovtsy.
Dès les années 1880, des hommes d’Église connus s’opposèrent aux thèses de Léon Tolstoï. L’un des prêtres les plus influents de l’époque, Jean de Kronstadt, traita notamment le romancier « d’hérétique surpassant tous les hérétiques ».
Les autorités religieuses orthodoxes de l’Empire russe ne pouvaient considérer les réflexions spirituelles de Léon Tolstoï autrement que comme des égarements qu’il fallait punir . Alexandre III appréciait ses œuvres et ne « désirait pas adjoindre à la gloire de Tolstoï la couronne du martyre ». Par ailleurs, une des tantes de l’écrivain était dame de compagnie de l’impératrice et jouait de son influence à la cour pour le protéger.
En 1896, après la mort d’Alexandre III dont on disait qu’il avait été l’éminence grise, Konstantin Pobédonostsev, le haut-procureur du Saint-Synode (le chef séculier de l’Église orthodoxe russe nommé par l’empereur), chercha à promouvoir l’idée d’une excommunication de Léon Tolstoï. Cette décision fut finalement prise en 1901. Des prêtres demandèrent à Konstantin Pobédonostsev si l’écrivain aurait droit à un enterrement religieux. Le haut-procureur leur répondit affirmativement et ajouta : sinon « quelle agitation ne déclencherions-nous pas ! », signe que ce risque restait envisagé sous Nicolas II (1968-1918).
Léon Tolstoï lors de sa marche de Moscou à Iasnaïa Poliana
Domaine publicLe lendemain du jour de sa publication dans les Nouvelles ecclésiastiques, la Résolution du Saint-Synode fut reprise dans tous les journaux de l’Empire russe. Un véritable scandale éclata : l’écrivain russe le plus célèbre non seulement en Russie, mais aussi dans le monde entier, était excommunié.
Dans une lettre au Saint-Synode, Léon Tolstoï protesta contre cette décision : « Je ne dis pas que ma foi ait été la seule incontestablement vraie pour tous les temps, mais je n’en vois pas d’autre plus simple, plus claire, et qui réponde mieux aux exigences de mon esprit et de mon cœur. Si tout à coup, s’en révélait une autre, qui fût plus propre à me satisfaire, je l’adopterais sur-le-champ, car rien n’importe à Dieu que la vérité ».
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Léon Tolstoï était également indigné du fait qu’il n’avait pas été excommunié dans le respect de toutes les règles ecclésiastiques. En d’autres termes, cette décision n’avait aucune force juridique.
Dans l’histoire de l’Église russe, on avait jusque-là excommunié principalement les schismatiques vieux croyants et des figures qui avaient représenté un danger pour l’État russe : Grigori Otrepiev, alias le premier Faux-Dmitri (mort en 1606), Stepane Razine (v. 1630-1671) et Emelian Pougatchev (1742-1775). Entre 1869 et 1917, Léon Tolstoï fut le seul à se voir infliger cette peine canonique .
Le Saint-Synode pesa chaque mot de sa Résolution dans laquelle il n’est fait mention ni d’« excommunion » ni d’« anathème ». Léon Tolstoï était considéré comme un fils de l’Église qui s’était « détaché » d’elle. Du fait des préceptes qu’il avait formulés et mettait en pratique, « l’Église ne le reconnaît plus pour un de ses membres, et ne peut plus le reconnaître comme tel, tant qu’il ne se repentira pas et ne rétablira pas la communion avec elle ». Le Saint-Synode concluait sa Résolution par des mots de commisération : « Nous vous en supplions, Seigneur miséricordieux, qui ne voulez pas la mort des pécheurs, exaucez-nous, ayez pitié de lui, et ramenez-le à votre Église sainte. Amen ».
Ilia Répine. Léon Tolstoï pieds nus, 1901
Musée RusseÀ la fin du XIXe siècle et au début du suivant, l’autorité morale de Léon Tolstoï dans les milieux érudits était beaucoup plus grande que celle de l’Église. Selon Pavel Bassinski, spécialiste de son œuvre, le public qui appréciait Léon Tolstoï moqua la Résolution du Saint-Synode et apporta son soutien à l’auteur. Lors du Salon des Itinérants de mars 1901, de très nombreux bouquets de fleurs furent déposés au pied du portrait de Léon Tolstoï peint par Ilia Répine. La même année, l’auteur fut pressenti pour obtenir le prix Nobel de la Paix.
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La censure interdit la publication de ses textes à caractère religieux. Mais, comme n’importe quelle mesure de ce genre, celle-ci attisa l’intérêt pour l’écrivain dont la renommée grandit encore. La décision du Saint-Synode, prise pour détourner les fidèles de la « fausse doctrine » de Léon Tolstoï, eut précisément l’effet inverse. « L’interdiction de publication des œuvres, pas uniquement religieuses, de Tolstoï et les poursuites dont faisaient l’objet ceux qui les diffusaient contribuèrent à populariser les idées de Tolstoï dans lesquelles on voyait une vérité cachée au peuple par l’État et l’Église officielle », écrit Pavel Bassinski.
Léon Tolstoï fut relativement épargné, mais ses disciples, les Toltovtsy, subirent de véritables persécutions. Les plus actifs furent envoyés en exil et au bagne (en particulier, ceux qui, par conviction religieuse, refusaient de remplir leurs obligations militaires durant la Première Guerre mondiale).
Léon Tolstoï et sa sœur Maria au monastère de Chamordino
Domaine publicÀ la fin de sa vie, Léon Tolstoï se rendit au monastère de Chamordino, où sa sœur était moniale. Il voulut même aller à Optina Poustyn’, qu’il connaissait bien, pour s’y soumettre à la plus stricte obédience. Il chercha à en rencontrer les startsy. Ainsi que ses proches s’en souvenaient, il ne s’agissait pas pour Léon Tolstoï de se repentir. Cette volonté de se rapprocher de l’Église était plutôt l’expression de la recherche spirituelle qu’il mena jusqu’à son dernier souffle.
Monastère d'Optina
Domaine publicAucune messe ne fut célébrée lors des obsèques de Léon Tolstoï. Un simple prêtre fut le seul à réciter une prière sur sa tombe.
À ce jour, l’Église orthodoxe russe n’a pas annulé la décision du Saint-Synode à l’encontre de Léon Tolstoï.
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