Que devint la famille Tolstoï après la Révolution d’octobre?

Karl Bulla/Musée d'État Léon Tolstoï
Léon Tolstoï mourut en 1910, soit sept ans avant les Révolutions de 1917. Comment sa famille vécut-elle après ces deux épisodes qui marquèrent un tournant radical dans l’histoire de la Russie?

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Il y a quelques mois , sous le titre Deux Tatiana. La fille et la petite-fille de Léon Tolstoï (Две Татьяны. ДочьивнучкаЛьваТолстого) est parue aux éditions Boslen la version russe du livre Appartenance - La femme, la fille et la petite fille de Léon Tolstoï se racontent...  (Ed. des Trois Colonnes, 2021). On le doit Marta Albertini, l’une des arrière-petites-filles de Léon Tolstoï, la fille et petite-fille des Tatiana dont le prénom figure dans le titre russe. Elle est née en 1937 à Rome où sa grand-mère et sa mère avaient émigré. Longtemps, elle ignora qu’un de ses aïeux était le célèbre écrivain russe. Elle ne fut pas élevée dans la langue russe. Pour rendre hommage à sa mère et à sa grand-mère, elle a dépouillé les archives familiales, déchiffré journaux et correspondances et appris comme ses ancêtres avaient vécu en Russie et l’avaient quittée après la Révolution d’octobre.

Marta Albertini

Sophie Andreïevna, la veuve de Léon Tolstoï, et leur fille aînée Tatiana, également veuve de son premier mari et père de sa fille Tatiana, se trouvaient à Iasnaïa Poliana, lorsque la nouvelle de la Révolution de février leur parvint. Sophie Andréïevna était soulagée que sa fille et sa petite-fille se trouvent alors avec elle dans la propriété familiale, loin des troubles qui agitaient la capitale.

« Personne ne regrette le pouvoir déchu », lit-on dans une lettre que la grand-mère de Marta Albertini adressa à son frère aîné Sergueï le 10 mars 1917. « Le mécontentement que suscitait le gouvernement dans tout le pays avait atteint un tel point que personne ne pouvait plus le supporter. On peut sincèrement remercier l’ancien pouvoir d’avoir été tellement mauvais que personne ne se bat pour lui. C’est pourquoi la révolution se déroule dans un calme sans pareil ».

Iasnaïa Poliana

Par ailleurs, la famille Tolstoï se réjouissait que « désormais nous pourrons éditer toutes les œuvres de père sans peur de la censure », qui avait interdit la publication de ses travaux tardifs. 

Violence et famine

Comme son père avant elle, Tatiana comprenait bien que le pouvoir reste toujours ce qu’il est. Il peut changer de mains mais pratique toujours la censure et les arrestations.

Tatiana Tolstoïa avec sa fille à Iasnaïa Poliana, 1918

Avec le temps, la situation devint de plus en plus tendue : des actes de brigandage étaient commis dans les domaines alentour. Les paysans mettaient le feu aux maisons des propriétaires. Des bruits couraient qu’ils voulaient s’en prendre aux biens des Tolstoï. Tatiana demanda au président du gouvernement provisoire Alexandre Kerenski de faire protéger Iasnaïa Poliana. Il envoya des soldats qui se débandèrent rapidement.

Marta Albertini écrit qu’en dépit de la confusion généralisée et des troubles, Tatiana, sa mère, sa sœur Alexandra et son frère Sergueï s’attelèrent à l’organisation du musée Léon Tolstoï à Iasnaïa Poliana . Il est possible que l’ouverture du musée ait épargné au domaine les attaques que les propriétés voisines avaient subies.

Les Tolstoï qui, avant la Révolution d’octobre et le début de la guerre civile, n’avaient pas été dans le besoin connaissaient désormais la faim. Ils avaient une vache et mangeaient ce que Tatiana faisait pousser dans le potager. Les vieux amis de Léon Tolstoï encore en vie les aidaient à trouver des pâtes, du riz et des haricots. Ils durent se résoudre à vendre leurs biens pour survivre.

Alexandra, la fille cadette de Léon Tolstoï, se souvenait que leur domestique continuait de porter des gants blancs, bien que rapiécés, et qu’il leur servait un plat uniquement composé de betterave cuite à la table couverte d’une nappe blanche immaculée à laquelle ils mangeaient.

« Je n’aurais jamais pensé que la désorganisation provoquée par les bolcheviks durerait si longtemps. Elle n’en finit pas et semble s’affirmer toujours plus », écrivait Tatiana dans son journal au début de l’année 1919.

Elle adressa une lettre inquiète à un ami à qui elle avouait vouloir quitter la Russie. « Nous ne soupçonnions pas cette haine de classe irréductible qu’avaient jusque-là toujours dissimulée les gens qui appartiennent à une autre classe que nous, qui ont reçu une autre éducation et un autre enseignement ». Elle soulignait toutefois que la plupart des paysans de Iasnaïa Poliana restaient bien disposés à son égard. De nombreuses années, elle avait enseigné à leurs enfants, les avait soignés, avait fait œuvre de bienfaisance.

Guerre civile et émigration

Le cœur serré, la famille Tolstoï fut témoin de la guerre civile. Dans son journal, Tatiana, la petite-fille de Léon Tolstoï, écrivait en septembre 1919 : « Je soutiens tantôt Dén[ikine], tantôt les Bolchéviks. Les deux camps n’arrêtent pas de décevoir. Beau[coup] de cruauté de part et d’autre. J’approuve grand[ement] les principes du bolchévisme, mais ils les établissent d’une manière sauvage ».

Ébranlée par l’âge et tous les bouleversements de cette époque, la santé de Sophie Andréïevna se détériorait. « Elle avait constamment peur que nous manquions de vivres et que nous mourrions de faim. Cette idée la faisait affreusement souffrir », écrivait sa petite-fille dans son journal. Sophie Andreïevna décéda en novembre 1919.

Tatiana Lvovna en Italie

L’un après l’autre, presque tous les enfants de Léon Tolstoï quittèrent la Russie. Ils étaient incapables de trouver leur place dans une société en pleine transformation et craignaient les persécutions. Tatiana travailla comme conservatrice du musée de Iasnaïa Poliana jusqu’en 1923, puis comme sa directrice. En 1925, elle s’établit à Paris, puis en Italie. Elle passa les dernières années de sa vie à Rome avec sa fille Tatiana. Celle-ci épousa Leonardo Giuseppe Albertini, un avocat italien.

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