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Depuis un certain temps, je vis en permanence entre deux pays : je suis une étudiante russe qui fait son master dans une université de l’une des plus belles villes françaises – Lyon. L’un de mes atouts principaux et simultanément de mes faiblesses est la planification quotidienne et à long terme. Et c’était le cas avec un stage obligatoire pour le deuxième semestre pour le printemps 2020. Par miracle, j’ai reçu une réponse positive à ma candidature dès le début de l’automne 2019, soit très tôt pour une si bonne nouvelle. En effet, j’allais passer deux stages dans deux journaux différents, dont les sièges se trouvent à Paris et à Moscou respectivement. La deuxième étape, qui s’est avérée plus sophistiquée, a donc consisté à organiser mes séjours dans les deux capitales et attendre avec impatience le printemps.
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Le sujet du coronavirus était déjà à l’ordre du jour quand je suis arrivée à Paris début février. C’est dans un bus encombré que j’ai pour la première fois vu une femme portant un masque et des gants, et à ce moment-là cette scène inhabituelle m’a fait sourire. Même si officiellement ni en Europe ni en Russie il n’y avait encore beaucoup de cas d’infection, tous les médias, y compris la rédaction où j’ai atterrie, ont traité ce sujet de plus en plus intensivement.
Fin février, le virus ne laissait plus de marge de manœuvre. La situation épidémiologique en Europe se détériorait petit à petit en commençant par l’Italie. En s’échangeant des brèves « du front invisible » au cours de la journée, tout le monde était conscient de la gravité de la situation. Or, pour aider à tenir le coup face à une vague d’informations négatives, ce sont de petites blagues qui s’invitaient dans le quotidien pour désamorcer l’ambiance. Ainsi, si quelqu'un attrapait un rhume au bon moment, il y avait un raisonnement philosophico-comique sur la possibilité de transmission du virus par le biais de la lecture excessive des articles y étant dédiés. À propos de moi, censée bientôt partir pour Moscou, on a ironisé qu'il devait encore y faire très froid et que le virus « serait en retard », ce qui me donnerait un peu de temps pour préparer une marge de manœuvre... La propagation du virus en France s’est déroulée à toute vitesse, passant au 3e stade deux semaines après mon départ en Russie. Depuis, tout le monde reste confiné à domicile et l’intention de plaisanter disparaît.
Pétersbourgeoise, mes séjours dans la capitale russe avaient toujours été courts et s’étaient réduits au tourisme. Comme la France, la Russie est très centralisée et cette fameuse énergie de vie est focalisée à Moscou. La possibilité d’y passer un mois en faisant des choses que tu aimes le plus – rédiger des articles sur ton pays en français – m’a semblé non seulement une occasion exceptionnelle d’avoir une expérience professionnelle enrichissante, mais aussi de faire de nouvelles connaissances et de visiter des endroits dont on parle souvent pendant les cours d’histoire à l’école. Bref, il y a tant de choses à faire dans cette ville gigantesque !
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Même si un inévitable danger se profile à l’horizon, la vie poursuit généralement son cours et l’on s’y accroche. Ainsi, aussi étonnant que cela puisse paraître, début mars, en suivant les actualités en continu sur le coronavirus, je croyais pouvoir rentrer à Lyon comme prévu le 8 avril. De plus, par chance, il y a encore un mois, les journalistes pouvaient trouver plein d'autres sujets à traiter outre le coronavirus. Je réalisais donc des entretiens, traitais de sujets divers et en programmais d’autres. Les sorties en ville n’étaient pas encore suspendues et en profitant des horaires flexibles de travail, j’explorais la vie moscovite en marchant. Le nombre de mes pas a atteint plus de 15 000 par jour – un luxe pour mes amis français à ce moment-là, et aujourd'hui pour moi-même !
Cependant, la chance n'était pas de notre côté, et toute la rédaction a été envoyée au télétravail à la mi-mars. Même si mon stage a continué, plein de sujets et d’événements intéressants à traiter et à couvrir ont été annulés et la perspective de rester seule en face de mon ordinateur au lieu de travailler dans la rédaction semblait plutôt triste. Les rumeurs sur une éventuelle fermeture de Moscou ne donnaient pas le moindre désir d’y rester : j’ai dû refaire ma valise pour rentrer à Saint-Pétersbourg chez mes parents. Hélas ! N’ayant pas de possibilité d’être remboursée pour mon loyer dans la capitale, je me suis retrouvée parmi ceux qui ont été économiquement touchés par le coronavirus.
Des restrictions multiples sur les déplacements et le travail des établissements éducatifs et d'autres entreprises ont été progressivement mises en place par les autorités de Moscou. Exactement deux semaines après mon départ, le régime d'auto-isolement à domicile a été introduit pour tous les Moscovites et l’ensemble du pays a entamé un « mois chômé ».
Ainsi, mes vacances prévues à Saint-Pétersbourg pour le début d'avril ont été avancées de deux semaines, naturellement, leur durée a également augmenté, voire trop ! Tout en continuant à travailler à distance, il fallait annuler toutes les visites médicales et dans les salons de beauté (tradition obligatoire de tous les Russes de retour de l'étranger), ainsi que toutes les rencontres avec des amis que je n'avais pas vus depuis un an !
Pour les mesures de protection, ma famille et moi-même avons décidé de partir à la datcha avant que des mesures identiques à celles de Moscou ne soient introduites à Saint-Pétersbourg. Cela procure une sensation étrange : il n’y a pas longtemps tu te promenais au jardin des Tuileries et visitais le musée d’Orsay à Paris, puis tu te baladais aux Étangs du Patriarche et sur le Vieil Arbat à Moscou et au final tu te retrouves dans une petite campagne au beau milieu de la nature, dans une maison chauffée au bois !
Là, m’attendent encore de nombreux jours à appeler la compagnie aérienne dans tenter d'obtenir une compensation en raison des vols suspendus et regarder les annonces des gouvernements russe et français sur la question d’une possible réouverture des frontières. Bientôt, les livres en français de ma bibliothèque improvisée pendront fin et même mon mémoire s’achèvera-t-il peut-être.
Il est clair que personne n’a plus de routine habituelle et que notre vie est suspendue jusqu’à nouvel ordre. En somme, il n’y a plus rien à planifier, car malheureusement et globalement rien ne dépend de nous, sauf le respect des mesures de prévention. Il y a 15 jours, je devais rentrer chez moi dans une ville qui est déjà devenue ma deuxième maison…
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